Histoires

Le courant continu a une deuxième chance

Les relations entre le courant continu et le courant alternatif sont chargées de tension – également sur le plan psychologique. Pourtant, les deux systèmes pourraient bientôt être utilisés côte à côte. Il ne faut toutefois pas négliger la sécurité. (Martin Arnold)

En 1890, il y a eu un différend aux Etats-Unis entre Thomas Alva Edison, qui favorisait le courant continu, et George Westinghouse ainsi que son collaborateur Nikola Tesla, qui s’engageaient pour le courant alternatif. Il s’agissait du premier différend majeur au sujet d’une norme technique dans l’histoire de l’industrie, que Westinghouse a remporté avec son courant alternatif. Par la suite, le CA s’est lancé dans une marche triomphale autour du monde. Néanmoins, on ne s’est jamais complètement passé du CC. En 1939, par exemple, une ligne de distribution à haute tension à courant continu de 20 kilomètres avec un redresseur à vapeur de mercure a été construite entre Zurich et Wettingen. Il s’agissait d’une installation d’essai de l’ancienne Brown Boveri & Cie. (BBC). Depuis le début du millénaire, les systèmes à courant continu semblent faire un retour en force. Un réseau à courant continu pourrait permettre d’économiser de cinq à dix pour cent d’énergie. Si l’on veut construire des maisons à consommation énergétique nette zéro, comme l’exige l’UE, cette économie joue un rôle. C’est pourquoi il y a de plus en plus de lignes à courant continu en Europe.

Les batteries comme fournisseurs rapides d’énergie

La production croissante d’énergies renouvelables change le paysage énergétique européen et suisse. Afin de garantir la sécurité, l’infrastructure du réseau doit être étendue. Swissgrid joue un rôle clé pour le tournant énergétique. Outre l’aménagement des transformateurs à Mühleberg, par exemple, l’extension comprend des transformateurs supplémentaires à haut rendement pour augmenter la capacité d’importation d’électricité. Ils permettent l’utilisation d’énergie provenant de nouvelles sources. De plus, deux lignes de 380 kV assurent le transport de l’énergie hydraulique du Valais vers les centres de consommation. Le porte-parole Christian Schwarz passe à la vitesse supérieure quand il s’agit de l’extension et de la modernisation du réseau: «Les projets prévus doivent pouvoir être réalisés sans délai, afin que la sécurité d’approvisionnement reste garantie et que la Suisse puisse apporter sa contribution au tournant énergétique.»

Ce redresseur à vapeur de mercure a été utilisé pour le train sur la « Zugspitze. » Photo : une œuvre technique pleine de beauté pour la distribution du courant continu. Photo : Musée de l’histoire de l’énergie, Hanovre. Ce redresseur à vapeur de mercure a été utilisé pour le train sur la « Zugspitze. » Photo : une œuvre technique pleine de beauté pour la distribution du courant continu. Photo : Musée de l’histoire de l’énergie, Hanovre.

Un potentiel de stockage considérable

Les fluctuations du réseau sont absorbées par une stratégie à trois niveaux et de manière synchrone dans toute l’Europe. Au niveau primaire, les excédents ou l’approvisionnement insuffisant doivent être compensés dans les 30 secondes, au deuxième niveau dans les cinq minutes et au troisième niveau dans les 15 minutes. Pour le premier niveau, on peut envisager des centrales de pompage-turbinage. Toutefois, les batteries de stockage réagissent beaucoup plus rapidement aux fluctuations du réseau. Marina González Vayá est responsable du développement de Smart Solutions aux centrales électriques du canton de Zurich (EKZ). Avec ses 18 mégawatts, la plus grande batterie de stockage de Suisse à ce jour se trouve à Volketswil. Elle fonctionne sur une base lithium-ion. Marina González Vayá explique: «La batterie réagit relativement rapidement aux écarts de fréquence dans le réseau et peut passer de la charge à la distribution en 500 millisecondes.» Chaque pays est tenu de contribuer à la régulation primaire. Pour la Suisse, cela représente 62 mégawatts. Jusqu’à présent, la Suisse a misé sur l’hydroélectricité, même si des progrès ont été faits en ce qui concerne les batteries. Comme les installations de production d’énergie renouvelables et les systèmes de stockage peuvent être raccordés directement à un réseau à courant continu sans convertisseur, les pertes et les coûts sont réduits. Les grandes entreprises comme Siemens en reconnaissent le potentiel. En collaboration avec d’autres entreprises, le trust a mené un projet européen en 2015 pour savoir si le courant continu pouvait circuler parallèlement au courant alternatif dans les bâtiments afin d’économiser de l’énergie. Siemens s’attend également à ce que cela présente des avantages pour la stabilité du réseau.

La batterie de stockage de l’EKZ joue un rôle important pour le niveau d’alimentation primaire. Photo: EKZ La batterie de stockage de l’EKZ joue un rôle important pour le niveau d’alimentation primaire. Photo: EKZ

Le potentiel d’économie d’énergie est reconnu

Le succès commercial du CC étant en train de s’affirmer, les normes deviennent importantes afin de fournir un cadre pour les innovations. L’association allemande pour l’électrotechnique, l’électronique et la technique d’information (VDE) se consacre à ce sujet. Elle a publié une nouvelle feuille de route pour la normalisation des systèmes CC. Celle-ci s’applique également aux installations du bâtiment dans lesquelles une structure de courant continu est concevable en plus d’un réseau à courant alternatif. En outre, le courant continu est de plus en plus utilisé là où le courant alternatif était auparavant commun, par exemple dans les installations d’éclairage, les centres informatiques et les applications industrielles. Par ailleurs, de plus en plus de techniciens développent des réseaux à courant continu à l’échelle microscopique. En Allemagne, les concepts de sécurité pour les installations à courant continu ont été négligés. Cela devient maintenant un problème, tant du côté du réseau que de celui des consommateurs. Dans le projet de recherche «Industrie CC», les participants recherchent une production alimentée en CC qui est «robuste en termes de fluctuation de la qualité du réseau et à laquelle elle puisse réagir de manière flexible.» Parallèlement, des entreprises spécialisées travaillent sur un concept de protection globale pour les réseaux CC modernes dans le cadre du projet «organes de protection à courant continu.»

Bien entendu, des composants toujours plus fins et plus rapides protègent l’infrastructure du réseau entre la centrale électrique et le consommateur. Toutefois, les sources proches des utilisateurs, telles que les systèmes PV et les systèmes de stockage d’énergie électrique, doivent également être équipées de dispositifs de protection CC. En Suisse, la SIA travaille à la standardisation de l’infrastructure dans les bâtiments dans lesquels le courant continu est ou sera intégré. Electrosuisse se penche sur le courant continu dans plusieurs comités techniques largement soutenus. Josef Schmucki est chef de projet chez electrosuisse et responsable des questions de normalisation. Il confirme: «L’intérêt pour le courant continu augmente. Le potentiel d’économie d’énergie a été reconnu; de nombreux appareils et systèmes utilisés dans le cadre du tournant énergétique et de la technologie moderne de communication nécessitent du courant continu. C’est pourquoi il faut des normes.» Les normes ne se font pas d’elles-mêmes. La majorité des membres du soi-disant comité des systèmes SyC LVDC chez IEC, qui est dans ce cas responsable du courant continu, doit accepter, par exemple, de normaliser une prise pour des applications CC. Elle peut être élaborée à l’échelle internationale ou nationale si d’autres pays ne voient pas la nécessité d’une norme spécifique. Josef Schmucki: «Plus il y a d’innovation dans la technique à courant continu, plus il y aura des questions relatives à la normalisation.»